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Nota bene: en raison de l’aggravation de son état de santé, Miss Cloclo, alias Clothilde Alexandra, a dû mettre un terme, à son plus grand regret, à la création de capsules humoristiques; l’interprétation exigeant d’elle une somme d’énergie dont elle se sent désormais incapable. Elle a décidé, en contrepartie, d’ajouter à ce site un volet littérature; où elle s’exprime, sans pudeur, sur une problématique délicate dont on entend peu parler par ceux-là même qui en sont l’objet: l’aide médicale à mourir.
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De ces rêves qui s’élèvent vers la tour de Babel
Je n’aime pas spécialement aborder la question de la nature de mes troubles de santé à proprement parler… mais bon, puisque je dois bien m’y mettre tôt ou tard, allons-y illico. Attention ! c’est un départ: un, deux, trois, go !
Eh bien, en fait, je suis atteinte de deux pathologies distinctes. D’une part, depuis mes vingt-trois ans, de l’encéphalomyélite myalgique… également désignée sous l’appellation, contestée, de « syndrome de fatigue chronique ». Celle-ci étant à l’époque encore plus méconnue et « mal-traitée » qu’aujourd’hui, c’est elle qu’on a confondue avec une dépression. Aussi a-t-il fallu neuf ans avant de recevoir le bon diagnostic.
D’autre part, depuis plus récemment, je suis en proie à un lupus systémique particulièrement sévère, ayant entraîné des séquelles irréversibles… pour lequel il a fallu sept ans, de même qu’une hospitalisation d’un mois, où j’ai frôlé la mort, afin de me faire prendre au sérieux et d’en découvrir la nature.
Voici là un drôle de « pattern », n’est-ce pas ? Certains y verraient sans doute le signe d’un « mauvais karma ». Si je ne m’abuse, un mauvais karma supposerait une sorte de châtiment infligé par « l’univers » pour des actions répréhensibles… commises soit dans une existence précédente, soit dans celle-ci.
Personnellement, je ne crois en la réincarnation. Autrement, si la vie (actuelle) n’a pas toujours été bonne envers moi, ou si elle m’a parfois mal-menée; en échange, je pense avoir mené une bonne vie… Ou du moins j’ai essayé.
Ceci dit, à supposer même la réalité d’existences antérieures, étant donné que, d’un corps à un autre, mon « essence » résiderait toujours dans une seule et même âme, je ne vois pas comment j’aurais pu être une tueuse en série – enfin, façon de parler ! – lors d’une vie passée… pour me me mettre soudainement à plutôt bien agir dans la suivante.
Certaines personnes encore soutiendront que nous attirons par nos pensées récurrentes les situations dans lesquelles nous nous retrouvons; bref, que nous façonnons le cours des événements futurs par nos croyances actuelles prédominantes.
L’idéologie qui prétend que nous puissions soumettre le réel à notre volonté, et ainsi concrétiser chacun de nos désirs, s’appelle le volontarisme. « Vouloir, c’est pouvoir »: voilà son credo, gage présumé de tous nos succès à venir.
J’adhérais moi-même, en partie, à cette philosophie lorsque la maladie m’a frappée une première fois au début de l’âge adulte. En plus de caresser de grands rêves, je travaillais très fort pour les voir un jour se matérialiser… Peut-être même un peu trop fort, en définitive. Je me « tuais » à la tâche, si j’ose dire. Et en tant que perfectionniste, j’étais particulièrement intransigeante à mon égard.
J’étais consciente, évidemment, que tout un chacun puisse subir des injustices, qui n’avaient aucunement été appréhendées. Or, selon mes convictions de l’époque, les épreuves étaient délibérément envoyées par Dieu dans le but de nous faire précisément acquérir les qualités requises pour l’accomplissement de nos aspirations. Incroyable, mais vrai. Voilà, en tout cas, qui conférait à ces épreuves un sens… une utilité !
Toutefois, une épreuve ne peut être désignée telle que dans la mesure il est possible de la surmonter. Comme un pont ou un désert: une épreuve, ça se « traverse » !
Or, lorsqu’un malheur ne prend jamais fin, quel nom lui attribuer ? S’agit-il alors d’une « malédiction » ?… Et quel sens lui allouer ? Mais surtout, quel sens peut-on donner à un malheur qui, par surcroît, est susceptible de mettre en péril tous vos rêves ?
Perdre définitivement la santé à un âge précoce engendre de graves contrecoups.
Quand quelques années plus tard, j’ai compris que j’étais sans doute aux prises avec une pathologie non seulement invalidante mais également incurable, c’est tout mon système de croyances doublé de tout mon « monde » qui se sont effondrés. Je ne vous dis pas combien je suis tombée de haut !
Est-il nécessaire d’ajouter que, pendant ma prime jeunesse, jamais je n’avais entretenu de pensées récurrentes par rapport à la maladie ?
Bien avant que le lupus ne se déclare, alors que je n’avais pas encore souffler trente bougies, j’étais déjà considérée comme ayant des contraintes sévères à l’emploi. Moi à qui on avait toujours prédit un avenir prometteur, je devais maintenant faire une croix sur mes ambitions professionnelles. Du coup, adieu projets de posséder ma propre maison; ou bien de m’envoler, en sac à dos, aux quatre coins du globe… tantôt pour m’aventurer sur la passerelle de verre au-dessus du Grand Canyon; tantôt pour traverser, à la vitesse de la lumière, le tunnel sous la Manche, de Calais à Folkestone !
Sur le plan personnel, même la quête du grand amour devenait plus compliquée: qui veut d’un boulet à entretenir, et à conduire à l’hosto ? À la rigueur, je redoutais aussi de n’avoir pas l’énergie nécessaire pour élever une progéniture. Cela étant dit, franchi un certain stade dans maladie, de toute façon, on en arrive à être incapable de faire l’amour.
Contrairement à cette série d’articles, le tome I de mon livre – dont la plupart des extraits ont d’ailleurs été rédigés avant même l’apparition du lupus – n’est pas tout à fait autobiographique; disons qu’il s’apparente néanmoins à l’autofiction. Il met d’abord en scène une écrivaine en herbe qui, après plusieurs romans inachevés, entreprend d’aboutir enfin d’une première oeuvre romanesque.
Cependant, elle qui croyait, telle Dieu, exercer un pouvoir absolu son propre « Univers » littéraire, voit peu à peu le contrôle de l’intrigue principale lui filer entre les doigts au profit de ses divers personnages. Ceux-là même à qui elle a pourtant donné vie en viennent donc bientôt, à ses dépens, à s’amuser, pareils à des adolescents rebelles, à dévier le propos et le déroulement de l’action.
À l’extérieur de ce monde en noir sur blanc – dont les lignes étaient en train de s’enchaîner – se jouait ainsi, en parallèle, un véritable drame dans ma vie personnelle. De ce côté-ci de la couverture, dans notre « réalité », que j’avais jusqu’alors toujours visualisée en couleurs, l’auteure que j’étais finissait par perdre les rênes du récit de sa propre existence au profit des symptômes d’une première pathologie. Ce sont eux qui dirigeaient désormais le cours de ma destinée.
Quand malgré nous… malgré tout… ce n’est pas la volonté qui nous manque – loin de là – mais la capacité, on n’a d’autre choix que de lâcher les brides… que de lâcher pied… que de lâcher-prise… et que d’accepter que certaines « infortunes » restent à jamais insensées.
He, hum… Hein ? Pardon ?… Une minute, papillon !… Accepter: vraiment ? Pfff… tout bien considéré, je ne pense pas, non. Comment peut-on demander à quiconque d’accepter l’inacceptable ?
N’est-il pas normal, malgré tout… malgré nous… de chercher un sens aux choses qui nous échappent ?… aux tragédies qui nous happent ? Ou du moins un semblant d’explication ?
Pour quelles raisons m’étais-je donc retrouver coincée dans pareille situation ? C’est ainsi que je me suis mise à échafauder une tonne d’hypothèses, plus ou moins insolites… que j’ai lancées, à tout hasard, dans les airs… Telle que celle que je m’apprête à expliciter.
Pour ce qui est de l’encéphalomyélite myalgique, sur le plan physiologique, les causes demeurent, à ce jour, encore relativement obscures. En revanche, certaines recherches ont révélé des traits de caractère communs à la plupart de ses victimes. À commencer par celui d’entretenir de fortes exigences vis-à-vis de soi… ce qui était justement mon cas.
J’en suis donc simplement arrivée à envisager l’éventualité que ces exigences auxquelles je m’astreignais afin précisément de concrétiser mes rêves aient pu contribuer indirectement au développement de ce syndrome.
Était-il possible, par exemple, que le stress engendré les impératifs démesurés infligés à moi-même en vue de parvenir à mes fins ait été « interprété », pour ainsi dire, par mon corps et mon esprit comme une « agression » à leur encontre… de sorte que ceux-ci se soient « rebellés » sous forme de divers symptômes ?
Suivant cette perspective, et si, paradoxalement, c’était le fait d’avoir cultivé de trop grandes aspirations qui, par ricochet, les avait tuées dans l’oeuf ?
Et si, en effet, c’était d’avoir lorgné la Lune qui, par contrecoup, avait empêché le « décollage » ?
Et si j’étais « fautive » de n’avoir pas su garder les pieds sur Terre ?; ou alors, de n’avoir pas eu l’humilité de reconnaître mes limites et les revoir à la baisse ?
Et si dans l’espoir de toucher les étoiles, j’étais coupable de m’être traitée moi-même comme l’esclave de mes idéaux inatteignables ?
Sous cet angle, et si la maladie était un « châtiment » pour des « fautes » commises non pas tant à l’encontre d’autrui qu’envers ma propre personne ?
Et si celle-ci était une réponse de Dieu à l’orgueil d’avoir visé trop haut ?… sinon d’avoir aspiré, la tête dans les nuages, à monter à son « niveau » ?
Et si mon seul « péché » – un péché tout mignon… ou bien, un péché mortel, c’est selon ! – était d’avoir entretenu des rêves à ce point élevés qu’ils se seraient égarés quelque part au-dessus de la tour de Babel ?
Et si… Et si… Et si… et cetera…
… Et puis, stop ! La ferme. Ça suffit comme ça ! Et si… Et si… Et si je poursuis sur cette lancée, qui sait quelles autres conneries je suis capable d’inventer ?
À ce compte-là, beaucoup d’autres encore se sont démenés afin d’accomplir des objectifs bien plus démesurés que les miens sans voir ceux-ci anéantis par des troubles de santé avant même de franchir le cap des vingt-cinq ans.
Du reste, en tant que juge et partie, j’aurais eu beau, tout juste après être tombée malade, me pardonner de n’avoir pas été, au préalable, assez douce et indulgente à mon propre égard que je n’aurais pas été « délivrée du mal » pour autant, comme par enchantement !
« Oui mais si… Oui mais si… » insiste néanmoins… toc toc toc !… une petite voix intrusive dans ma tête. « … Oui mais s’il existait pire péché que celui d’avoir aspiré à te construire un Paradis sur Terre ?; et qu’avec l’aide médicale à mourir, tu étais justement sur le point de le commettre ? »
Et quoi encore ? Mais enfin, qu’est-ce qu’elle me veut celle-là ?
« Et si le fait de provoquer ta mort, enchaîne-t-elle aussitôt, revenait à te prendre carrément pour Dieu, une offense qui te conduirait tout droit au purgatoire ? »
Attendez un peu… sérieusement ? Ai-je bien entendu ? J’hallucine ou quoi ?… Comment: au purgatoire ? Qu’est-ce que je risque exactement ? puisque j’y suis déjà !
Or, apparemment, ça ne s’arrête pas là: la petite voix têtue de sembler s’apprêter à renchérir sur cette première idée farfelue. Bon, voyons voir ce qu’elle va avoir le culot, cette fois, de raconter…
« Seul Dieu donne la vie; seul Dieu peut la reprendre. Ce geste s’oppose à la volonté divine: il équivaut à Lui jeter en pleine face le cadeau, de la vie, qu’il t’a gracieusement offert. »
Ce à quoi, révoltée, me voici qui rétorque, à nouveau, du tac au tac: ça, c’est le comble !… Ai-je besoin ici de souligner que ledit « cadeau » est devenu empoisonné ? Puisque mon corps m’attaque de l’intérieur, je considère qu’il s’agit, de ma part, de légitime défense. Et au demeurant, en admettant que Dieu soit juste et bon, comment pourrait-il souhaiter me voir souffrir autant dans ma chair pour encore les trente ou quarante prochaines années ?
Toutefois, la petite voix effrontée n’a pas dit son dernier mot: « Mais qui te laisse croire que si la vie est injuste, il devrait alors nécessairement en être autrement avec la mort ? »
Ahhh ! et puis, tant pis… trêve d’inepties: là, j’en ai vraiment ma claque ! Il me faut, au plus tôt, chasser de mon cerveau toutes ces aberrations, en bloc. Allez ouste: c’en est trop, petite voix idiote !
Et hop ! pouf ! abracadabra… sans doute à court d’arguments comminatoires, celle-ci se fait peu à peu plus discrète… jusqu’à devenir complètement muette. Somme toute, faute de détenir de contrôle sur mon sort ici-bas, je peux au moins prendre le contrôle de mon esprit.
Si bien que je réussis à faire volte-face… et ce, pour replonger, de plus belle… tête première… et splash !… dans mes fantasmes !
Grande optimiste devant l’Éternel, je parviens enfin à revoir la lumière au bout du tunnel; et à envisager, pour moi, à la place, un dénouement favorable. Et tac !… Grâce à l’aide médicale à mourir, au contraire, je dispose maintenant d’une clef vers la plus vaste des libertés.
Je me plais même à imaginer que par-delà ce dernier chapitre du récit de mon séjour sur Terre m’attend un univers plus coloré que le nôtre… et où fonctionne réellement le volontarisme. Ouais: qu’au Paradis, tous nos désirs sont exaucés… mais, qui mieux est, cette fois sans aucun effort, à la seconde même où ils sont exprimés… par nos seules pensées… des pensées magiques !
Certes, à défaut de croire aux vies antérieures, je crois à une vie ultérieure.
Ainsi, faute d’avoir pu, de mon vivant, « parcourir tous les pays du monde », qui sait si je ne suis pas, effectivement, sur le point d’entreprendre le plus idyllique des voyages qui soient… qui sait si la mort ne consiste pas, après tout, en une destination… de rêve ! 😉
À bientôt xxx
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Post-scriptum: ce blog ne prône pas le suicide. Il relate les états d’âme d’une personne à qui on a accordé l’aide médicale à mourir. Pour y être éligible, quand on ne souffre pas d’une pathologie mortelle, il faut notamment être atteint « d’une maladie grave et incurable », avec « une situation médicale qui se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités ». Il est donc question ici d’un état irréversible. La majorité des souffrances strictement psychologiques, aussi intenses puissent-elles parfois se manifester, finissent éventuellement par trouver une solution, ou bien par s’atténuer avec le temps. Si vous entretenez des pensées suicidaires, vous pouvez chercher de l’aide, notamment en appelant au numéro suivant ou en cliquant sur l’image.
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